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Comptes rendus de lecture
Phillipp R. Schofield (éd.), Seals and their context in the Middle Ages, Oxford, Oxbow Books, 2015, 22 × 27 cm, 208 p. + ill. coul. ISBN : 978-1-78297-817-6. Prix : $ 150 (reliure cartonnée).
Cet ouvrage collectif en anglais, qui constitue les Actes d’un colloque tenu en avril 2012 à Aberystwyth (Pays de Galles), rassemble quatorze articles écrits pour l’essentiel par des contributeurs anglais, gallois et américains, ainsi que deux universitaires allemands. Édité par Phillipp R. Schofield, professeur à l’Université d’Aberystwyth, il s’inscrit à l’intérieur d’une production éditoriale foisonnante de l’école de sigillographie anglo-saxonne depuis une dizaine d’années, marquée de l’influence des travaux de Brigitte Bedos-Rezak : édition des Actes du colloque du British Museum Good impressions : image authority in medieval seals (Londres, 2008) ; de l’ouvrage de B. Bedos (When Ego was Imago. Signs of identity in the Middle Ages, Leiden-Boston, 2011) ; du volume interdisciplinaire dirigé par Susan Solway Medieval coins and seals. Constructing identity, signifying power (Turnhout, 2015 ; Voir le compte rendu par C. Simonet sur ce même site) ; du catalogue des sceaux londoniens par John McEwan (Seals in medieval London, 1050-1300. A catalogue, Londres, 2016) ; et en ce début d’année 2018 des Actes du colloque Seals and status, 800-1700 qui s’est tenu au British Museum en 2015.
Dans son introduction, Ph. Schofield rappelle que le colloque de 2012 prend place dans le cadre du programme de recherche Seals in medieval Wales, 1200-1500 soutenu par le Arts and humanities research Council (AHRC), qui a donné lieu à un ouvrage de synthèse du même auteur en collaboration avec Elisabeth New, J. McEwan et Susan M. Jones (Seals and society. Medieval Wales, the Welsh Marches and their english border region, 2016). Les différents axes de recherche de ce projet sont représentés à l’intérieur de trois sections d’égale proportion qui examinent l’histoire et l’utilisation des sceaux en tant que symboles et signes du pouvoir (I. Seals, status and power), leur rôle dans le droit et la pratique juridique (II. Seals, law and practice) et leur aspect matériel et archéologique (III. Seals, sources and their context). Comme annoncé, le livre exploite en premier lieu le matériel britannique, principalement gallois, avec quelques excursions dans les territoires continentaux soumis à la domination anglaise (Normandie, Anjou), ainsi qu’en Italie et dans l’Empire.
Le court essai de Paul D. A. Harvey (université de Durham) ouvre le livre par une intéressante réflexion sur la signification du mot sigillum. Suivant immédiatement la croix initiale de la légende des sceaux, le mot, qui apparaît pour la première fois dans l’Angleterre pré-normande, doit être compris comme un diminutif du mot signum et ferait alors référence au seing manuel en forme de croix dessiné par les témoins au bas des actes. À l’appui de cette hypothèse, P.D.A. Harvey donne l’exemple de la légende de la bulle de Cenwulf, roi de Mercie de 796 à 821 (+ COENVVLFI REGIS / + MERCIORVM) : le nom du roi et son titre n’étant pas au nominatif mais au génitif, il faudrait donc comprendre « Croix de Coenvuf, roi des Merciens ».
La première partie réunit quatre travaux de Nicholas Vincent (université d’East Anglia), Daniel Power (Université de Swansea), Jörg Peltzer (Université d’Heidelberg) et J. McEwan (Université de Saint-Louis). N. Vincent fait le point sur la collection de sceaux du roi Henry II, ainsi que sur la mise en place du catalogue emblématique Plantagenêt (lion/léopard, serpent du sceau privé du souverain). Il remarque que ces signes sont adoptés très tôt par certains courtisans sur leurs propres sceaux en gage d’allégeance, quand d’autres n’hésitent pas à faire montre de dérision à l’égard du grand sceau royal, à l’image de Robert Belet, bouteiller du roi, représenté assis « en majesté » sur un tonneau de vin tenant un couteau dans chaque main en référence à son office ! S’intéressant au personnel et aux usages diplomatiques de la chancellerie royale, N. Vincent note que la cire verte devient d’un usage régulier pour la validation des actes à valeur perpétuelle dès les années 1180, sans évoquer la mise en place de cette pratique au même moment à la chancellerie capétienne (1). L’article de D. Power nous fait connaître la déclaration de l’Église normande intervenue en 1205, après la reprise en main du domaine par Philippe Auguste. Détail inhabituel, l’acte était scellé à l’origine de 22 empreintes de cire jaune – 13 sont encore conservées – attachées ensemble en deux groupes de 11 au moyen de lacs de soie. Power restitue sous forme de catalogue chacun de ces sceaux d’aristocrates normands ayant fait le choix de la fidélité au roi de France. J. Peltzer s’attache pour sa part à montrer le lien entre le choix iconographique des sceaux, leurs dimensions, leurs légendes, et le rang tenu par plusieurs membres de la haute aristocratie d’Angleterre et d’Empire aux XIIIe et XIVe siècles. On retiendra notamment que dans les duchés de Saxe et de Bavière, le sceau équestre avec la lance portant bannière constitue toujours pour les princes le symbole le plus approprié de leur pouvoir sur les fiefs et les hommes. À partir d’un corpus extraordinaire et de documents comptables dont nous aimerions pouvoir disposer pour la France du XIIIe siècle, J. McEwan dresse le portrait d’un groupe social londonien, celui des artisans spécialisés dans la gravure des matrices de sceaux, distincts des orfèvres travaillant spécifiquement les matériaux nobles (or et argent), mais pourtant installés dans le même quartier de Saint-Martin le Querne et socialement parfaitement intégrés. Plusieurs noms de ces graveurs sont connus et, fait particulièrement notable, jusqu’aux matrices qu’ils se taillèrent pour la validation de leurs propres affaires.
La deuxième section rassemble cinq essais de Brigitte Miriam Bedos-Rezak (université de New York), d’Adrian Ailes (université de Bristol), de Paul Brand (université d’Oxford), de John Cherry (British Museum) et de Brian Kemp (université de Reading). B. Bedos-Rezak rappelle le rôle joué par le personnel de chancellerie, issu du monde des écoles et des universités, dans l’évolution des pratiques de scellement dans l’Occident des XIIe et XIIIe siècles. Constatant que le Décret de Gratien est muet quant à l’usage et à l’essor du sceau, l’auteur convoque les écrits de la pensée scholastique, de Pierre le Chantre à Conrad de Mure, en passant par Guillaume d’Auvergne, qui développèrent un large éventail d’opinions juridiques concernant la nature des sceaux et définirent la notion de sceau authentique. A. Ailes, dont l’article aurait dû logiquement être associé à celui de N. Vincent dans la section précédente, s’intéresse aux sceaux du règne de Richard Cœur de Lion. Il précise les dates de gravure et d’utilisation des deux grands sceaux (sur lesquels apparaissent les premières manifestations de l’héraldique royale), du sceau du secret et de celui de l’Échiquier, conservé dans le trésor royal à côté du Domesday Book, utilisé comme substitut du sceau royal en l’absence du grand et portant, en plus petit, la même image et la même légende que le sceau royal. P. Brand s’attache pour sa part à donner plusieurs exemples intéressants directement le thème de la section : devenir de la matrice à la mort de son possesseur, pratique du blanc-seing, opération technique du scellement, etc. On notera la mention d’un statut anglais de 1285, vraisemblablement inspiré de l’ordonnance capétienne relative à la lettre de baillie (mai 1281) (2) que l’auteur passe sous silence, prévoyant l’instauration dans chaque comté de deux jurés chargés de recevoir les plaintes des administrés et de les présenter au sheriff à l’occasion de ses assises afin qu’il y appose son sceau. La question du notariat, inconnu en Angleterre, est abordée par J. Cherry à partir de quelques exemples italiens conservés dans la collection de l’antiquaire Richard Rawlinson. Cette partie se clôt avec un focus sur les sceaux et les armoiries de la maison d’origine angevine de Longuespée. Après avoir établi la descendance du fondateur du lignage, Guillaume, fils illégitime du roi Henri II Plantagenêt, B. Kemp fait la démonstration de la concession des armoiries aux six lionceaux de Geoffroi d’Anjou et l’usage d’un emblème parlant – une épée pointant vers le bas – sur plusieurs sceaux et contre-sceaux de cette maison.
Quatre articles composent enfin la dernière partie : Elizabeth New (université d’Aberystwyth), Markus Späth (université de Giessen), T.A. Heslop et Matthew Sillence (université d’East Anglia) et David H. Williams (National Museum of Wales). À partir de plusieurs cas de sceaux personnels à motifs centraux provenant du chartrier de l’abbaye de Margam – un ensemble documentaire finalement très proche de celui offert par le chartrier de La Noë étudié par Martine Dalas (3) –, E. New démontre que ces empreintes souvent délaissées par les historiens ne sont pas toutes attachées aux sigillants de modeste extraction. Elle en veut pour preuve les exemples particulièrement sophistiqués fournis par les très beaux sceaux de John Mygnoth et de Gilbert de Clare, gendre d’Edouard Ier, composés sur un modèle figurant une fleur à plusieurs pétales sur lesquelles s’inscrivent un calice dans le premier cas, un écu aux armes dans le second. À la suite des travaux de B. Bedos-Rezak sur la dimension ontologique du sceau, M. Späth étudie la formidable empreinte tridimensionnelle du troisième grand sceau du prieuré cathédral Christ Church de Canterbury, gravée au début des années 1230. Si les matrices nécessaires à la confection d’un tel objet sont perdues, la technique d’impression peut être restituée grâce à un autre exemple contemporain fourni par le sceau du prieuré augustinien Sainte-Marie de Southwick, élaboré vers 1260 autour de pas moins de quatre matrices en cuivre. L’article de T.A. Heslop et M. Sillence offre ensuite une excursion dans l’époque moderne autour d’un plan de la ville de Norwich, dressé en 1746 par l’antiquaire Francis Blomefield. Le dessin documente, tout autour du plan lui-même, une galerie quasi complète d’une quarantaine de sceaux médiévaux d’institutions civiles et religieuses de la cité, pour la plupart aujourd’hui perdus. Enfin, l’ouvrage s’achève sur la question brûlante des matrices de sceaux enfouies dans le sol et découvertes au Pays de Galles, de manière fortuite ou par l’intermédiaire de détecteurs à métaux, entre le XIXe siècle et aujourd’hui. Les exemples sont nombreux – D.H. Williams dénombre 6 à 7 découvertes par an, ce qui est assez faible au regard des exhumations françaises – souvent spectaculaires, à l’image de la matrice du sceau de la chancellerie de Monmouth datant du règne d’Edouard IV, en usage entre 1475 et 1622, trouvé en 1850 à Monmouth, dans la rivière Wye et conservée désormais au National Museum de Cardiff ; ou encore, ce petit objet en pierre trouvé il y a une vingtaine d’années à l’occasion des fouilles du village médiéval de Trostre (Monmouthshire) et sans doute destiné à servir de gabarit à un graveur de sceau qui le portait sur lui au moyen d’une chaînette.
En résumé, ces actes constituent un ouvrage du plus grand intérêt dans bien des domaines (sigillographie, héraldique, histoire du droit, histoire de l’art, archéologie) et apportent un matériau documentaire d’une très grande richesse et souvent inédit, en particulier pour ce qui concerne les matrices de sceaux dont la recherche connaît un formidable essor depuis le colloque fondateur de Lille en 2008 (Pourquoi les sceaux ? La sigillographie, nouvel enjeu de l’histoire de l’art, M. Gil et J.-L. Chassel, éd.). On regrettera cependant l’absence d’une synthèse conclusive à la fin de l’ouvrage qui aurait été salutaire pour établir un bilan des apports de ces travaux. De même, un appareil critique avec index et bibliographie aurait été des plus utiles, une bibliographie souvent trop anglo-centrée dont témoignent quelques oublis fâcheux qui auraient pourtant offert aux auteurs des mises en perspective éclairantes avec les domaines continentaux. Signalons pour finir l’excellente présentation de cet ouvrage qui se caractérise par des illustrations en couleur de bonne qualité.
Arnaud BAUDIN
Revue française d’héraldique et de sigillographie, édition en ligne (ISSN 2606-3972)
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2018
(1) Robert-Henri Bautier, « Le sceau royal dans la France médiévale et le mécanisme du scellage des actes », dans M. Dalas, Les sceaux des rois et de régence, Paris, 1991 (Corpus des sceaux français du Moyen Âge, 2), p. 19.
(2) Louis Carolus-Barré, « L’ordonnance de Philippe III le Hardi et l’organisation de sa juridiction gracieuse », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 96, 1935, p. 5-48 ; R.-H. Bautier, « L’exercice de la juridiction gracieuse en Champagne du milieu du XIIIe siècle à la fin du XVe siècle », ibidem, t. 116, 1958, p. 29-106, et « Origine et diffusion du sceau de juridiction », Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendus des séances, 1971, p. 304-321 (repris dans Bautier, Chartes, sceaux et chancelleries. Études de diplomatique et de sigillographie médiévale, Paris, 1990 (Mémoires et documents de l’Ecole des chartes, 34), t. 1, p. 349-446 et 341-358).
(3) M. Dalas, Sceaux des chartes de l’abbaye de La Noë conservées à la Bibliothèque nationale, XIIe-XIIIe siècles. Inventaire, Paris, 1993.
Sommaire
Introduction (Phillipp R. Schofield)
This is a seal (Paul D.A. Harvey)
1 – Seals, status and power
– The seals ok king Henry II and his court (Nicholas Vincent)
– The declaration on the Norman Church (1205) : a study in norman sigillography » (Daniel Power)
– Making an impression : seals as signifiers of individual and collective rank in the upper aristocracy in England and the Empire in the thirteenth and fourteenth centuries (Jörg Peltzer)
– Making a mark in medieval London: the social and economic status of seal-makers (John McEwan)
2 – Seals, law and Practice
– Seals and stars. Law, magic and the bureaucratic process, XIIe-XIIIe siècles (Brigitte Bedos-Rezak)
– Governmental seals of Richard I (Adrian Ailes)
– Seals and the law in the thirteenth century (Paul Brand)
– Iustitia, notaries and lawers : the law and seals in the late medieval Italy (John Cherry)
– Family identity : the seals of the Longespées (Brian Kemp)
3 – Seals, Sources and their context
– (Un)conventional images. A case-study of radial motifs on personal seals (Elizabeth A. New)
– Memorialising the glorious past. Thirteenth-century seals from English cathedral priories and their artistic context (Markus Späth)
– Putting seals on the map : Francis Blomefield’s Plan of the City of Norwich (1746) and the constitution of civic history (T.A. Heslop et Matthew Sillence)
– Seal finds in Wales (David H. Williams)