Sceau de Bon-Joseph DACIER (1790)

Datation : 1784-1790

Description : D’azur au pairle d’or, posées sur un cartouche de cuir découpé, surmontées d’une couronne comtale et entourée d’un ruban et d’une croix, supportées par deux branches de laurier.

Sigillant : Bon-Joseph Dacier (1742-1833), historien, philologue, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1782), président du Consistoire de la Bibliothèque impériale, puis royale (1806-1829), élu à l’Académie française (1822), chevalier de la Légion d’honneur 4 frimaire an XII, chevalier de l’Empire par lettres patentes du 16 décembre 1810 (Gourdon de Genouilhac, Dictionnaire des anoblis 1270-1868, 1875).

Porteur des armes : Etienne Lauréault de Foncemagne (1694-1779), professeur, gouverneur du duc d’Épernon, puis sous-gouverneur du duc de Chartres, gardien des Antiques du Roi à la suite de Félibien (1733) élu à l’Académie française (1736).

Renseignements : Observé le 11 janvier 2019, Archives Nationales, T//1602, Procès verbal de l’inventaire et description des effets mobiliers de l’abbaye de St Germain des Prés, en date au commencement du 14 Xbre 1790, Mrs Dacier et Lafisse commissaires, fol. 2v.

Analyse : Dans le cadre de mes recherches de doctorat sur de décor des bâtiments conventuels des abbayes masculines en France au XVIIIe siècle, un sceau a attiré mon attention.

Cette empreinte de sceau étonne par sa date et son titulaire. Un an et demi après le début de la Révolution française, un érudit, pas encore anobli, issu d’une modeste famille d’artisans normands, emploie dans le cadre de ses fonctions de commissaire mandaté par la municipalité révolutionnaire à la description des biens du clergé un sceau armorié, avec couronne et ordre de chevalerie. Ce sceau privé n’est pas employé dans son cadre traditionnel, sur une correspondance ou un acte notarié, mais apposé comme scellé judiciaire sur certaines portes de l’abbaye visitée, et reproduit dans la description afin d’assurer l’authenticité des scellés apposés.

Bon-Joseph Dacier connut une brillante carrière dans les lettres et l’érudition. Jeune associé aux travaux de l’Histoire de France de Sainte-Palaye et Foncemagne, il fréquenta le jeune duc de Chartres dont Foncemagne était le sous-gouverneur. Les armoiries n’ont jamais été réservées à un groupe social spécifique, cependant le discours héraldique du XVIIIe siècle tend néanmoins à en faire l’apanage de la noblesse, idée assez largement répandue à la veille de la Révolution qui y verra un signe de féodalité. La proximité de Dacier avec l’élite aristocratique et des membres de la famille royale peut expliquer qu’il ait adopté des armoiries en dépit de sa carrière encore récente et la modestie de ses origines.

Plus encore, c’est la proximité avec Foncemagne qui semble déterminante. En effet,  Étienne Lauréault de Foncemagne est le dernier d’une famille de petits seigneurs des environs d’Orléans, qui porte d’azur au pairle d’or (D’Hozier, Fr 32249, p91) et par sa mère est apparenté à de grandes familles de la robe parisienne. Il perd son épouse et son fils avant 1770, le laissant dernier survivant de sa famille. Les biographes de Dacier indiquent qu’il reporta alors son affection sur le jeune érudit, qu’il introduisit dans les cercles parisiens.

Il est tentant de voir dans ces armoiries identiques une forme d’adoption héraldique, héritage emblématique en plus de l’héritage érudit, rendu possible par l’extinction de la lignée naturelle. Si ce phénomène a été souvent décrit au Moyen-Âge, sa mention est beaucoup plus rare à l’époque moderne.

Si Dacier hérite des armes, hérite-t-il aussi de la matrice ? En effet, sa facture plus proche des années 1750 que des années 1780 pourrait attribuer sa réalisation à Foncemagne. Cependant celui-ci ne fut titulaire d’aucun ordre royal. Par contre, la nomination de son disciple comme historiographe des ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel en 1784 par le comte de Provence l’autorise à porter l’insigne de l’ordre au même titre que les novices (Cayrol, Essai historique sur la vie de Gresset, 1844). Il est donc difficile d’imaginer que la matrice puisse avoir été commandée par Foncemagne. Il n’est cependant pas à exclure que Dacier ait fait copier la matrice de Foncemagne, expliquant un style un peu daté et l’emploi abusif d’une couronne comtale, tout en y ajoutant un nouvel emblème qui lui est propre, ce qui en placerait la réalisation peu après 1784.

Cette transmission héraldique ne s’arrête pas avec la Révolution. En effet, la carrière de Dacier sera florissante sous l’Empire et la Restauration. C’est à lui qu’est adressée la célèbre lettre de Champollion dans lequel il énonce ses premiers déchiffrements hiéroglyphiques. Or, devenu chevalier d’empire en 1810, il fait enregistrer de nouvelles armes selon les canons de l’héraldique napoléonienne, qui n’abandonnent par les armes Foncemagne, mais les intègrent à la nouvelle composition, d’azur, à la barre du tiers de l’écu de gueules à la croix de la Légion d’Honneur, posé en chef, accompagné à dextre d’un pairle d’or et à senestre de trois deltas d’argent posés 1 et 2 (Georgel, Armorial de l’Empire français : L’Institut, L’Université, Les Écoles publiques, 1870). Ce pairle sera d’ailleurs assez peu compris par les héraldistes du XIXe siècle, dans les armoriaux impériaux le décrivant souvent comme un Y.

La découverte de cette empreinte permet ainsi d’éclairer en partie la genèse d’armes d’Empire, qu’on interprète souvent comme des armes créées des toutes pièces par le nouveau système. Cet exemple montre au contraire la possibilité pour des savants roturiers de la fin du XVIIIe siècle de porter des armoiries, et pour les nouvelles armes du début du XIXe siècle, de bénéficier d’une tradition héraldique plus ancienne intégrée aux nouvelles exigences légales et symboliques.

Clément SAVARY
Juillet 2019

 

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