Comptes rendus de lecture

René LAURENT et Claude ROELANDT, Les échevins de Bruxelles. (1154-1500). Leurs sceaux (1239-1500), Bruxelles, 2010 (Archives générales du Royaume, Studia 24), 21×29 cm., 3 vol., 366+192+11 p. et 98 p. de planches non paginées, ill. noir et blanc et couleur.

L’intérêt que voue M. René Laurent aux échevins de Bruxelles date de trente ans. Il nous livre aujourd’hui le fruit d’un travail exemplaire, au service à la fois de l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la grande ville belge, de l’anthroponymie et des sciences de l’emblématique (sigillographie, héraldique). Cette publication est un événement considérable, sans équivalent dans l’historiographie.
Qu’on en juge ! En 670 p. réparties en trois volumes, l’auteur nous donne d’abord une prosopographie complète des échevins Bruxellois, appuyée sur les actes originaux conservés aux Archives générales du Royaume ou dans d’autres fonds, des origines jusqu’à la fin du XVe siècle. C’est la matière du premier volume. Celui-ci comporte d’abord la liste des échevins année par année (p. 22-72) : après des mentions isolées et de localisation hypothétique à partir de 1135, les premières données certaines remontent à 1154, mais elles sont encore éparses et les premières listes véritables ne commencent qu’à partir de 1204-1205. Vient ensuite le catalogue alphabétique des échevins (p. 95-359), comportant en tout 701 personnages (depuis Engebert Van Aelst jusqu’à Nicolas de Zwaef), avec la référence systématique des sources corroborant chaque notice. Enfin, une annexe (p. 363-365) récapitule, le nombre des mandats assumés par chacun, lorsque les informations permettent de le préciser : le record appartient à Henri Portre, avec 22 mandats de 1269 à 1301 !
Le deuxième volume reproduit intégralement le manuscrit Scabini Bruxellenses (Bibliothèque royale, II/6541), de Jean-Baptiste Houvaert († 1688), échevin puis secrétaire de la ville, qui a consigné des dessins de sceaux d’échevins médiévaux. L’intérêt exceptionnel de ce manuscrit, composé en 1673-1674, est d’avoir recueilli certaines de ses informations dans des sources qui ont disparu lors du bombardement de Bruxelles en 1695.
Le troisième volume dresse le corpus des sceaux par ordre alphabétique de possesseur recensés (701 personnages, comme dans le catalogue prosopographique). Les plus anciens conservés sont appendus à une charte originale de 1239 : il s’agit de ceux d’Englebert Vanden Spieghele, de Guillaume Lose, de Leon Wert et d’Englebert de Molenbeek. Pour quelques échevins, aucune empreinte n’est attestée, même dans le manuscrit d’Houvaert, mais leur nombre est faible : 18 en tout. En revanche, pour d’autres, deux à trois sceaux différents sont connus. Ainsi le total recensé est-il impressionnant : 745 si nous avons bien compté. Les notices du corpus comportent une description rapide du sceau, de ses éléments héraldiques, la transcription de la légende, et sont systématiquement accompagnées de photographies. La tâche n’était pas aisée, car les originaux ou leurs moulages sont des objets de petite taille (autour de 25 mm le plus souvent) et monochromes. La qualité de cet énorme travail d’illustration – œuvre de M. Claude Roelandt que M. Laurent a associé à la signature de l’ouvrage – doit être soulignée.
Ce troisième volume s’achève (p. 159 et s.) par quelques annexes d’une grande utilité : liste des armoiries figurant dans le champ du sceau, sans écu (laissant ainsi ouverte la question de savoir s’il s’agit bien d’héraldique ; la liste des cas où l’hérédité des armoiries est attestée (problème toujours intéressant, s’agissant de l’héraldique bourgeoise) ; table des ornements extérieurs de l’écu (table des cimiers, tables des supports, tables des tenants) ; table héraldique. Un petit glossaire facilitera l’utilisation du corpus par les lecteurs non familiers de l’héraldique.
Les champs de recherches ouverts par la publication de cet ouvrage sont nombreux. Il n’est pas besoin d’insister ici sur le profit que l’histoire de l’institution scabinale et des élites bruxelloise tire de l’ouvrage : le Laurent et Roelandt servira maintenant de référence ; souhaitons qu’il serve de modèle à la réalisation d’entreprises analogues dans d’autres villes d’Europe.
Attirons l’attention sur l’intérêt d’une étude des légendes des sceaux recensés dans le corpus. Le latin y est de règle au XIIIe siècle mais, si le flamand se développe par la suite, il ne l’emporte totalement que dans moins d’un quart du total, la plupart des sceaux adoptant des légendes mixtes, latinisant le nom de baptême mais gardant le flamand pour le surnom ; quelques familles cependant marquent un attachement net à la forme latine de leur surnom, comme les Van Coudenberg qui se font constamment nommer de Frigido Monte… On trouve aussi quelques rares exemples de légendes wallonnes (par exemple, n° 404 : S’ Godefrei de Mons). L’examen d’ensemble de ces questions apporterait des conclusions intéressantes sur le plan philologique, de l’histoire culturelle et celle des mentalités.
Le corpus révèle divers emblèmes parlants : nous avons déjà cité la famille Eggloy qui, en rapport avec l’origine de son nom (angelus/engel), fait usage d’une figure d’ange avant d’opter pour des sceaux héraldiques. Mais ils ne sont pas si nombreux qu’on pourrait en préjuger. En fait, les bourgeois bruxellois affectionnent une héraldique on ne peut plus classique, qu’il est impossible de différencier de celle de la noblesse. Certains de ses membres portent d’ailleurs le titre de chevalier.
La statistique héraldique du corpus donne la priorité aux fleurs de lis (phénomène bien attesté dans les villes du Nord), aux lions, aux tours, aux francs-quartiers, aux fasces, aux coquilles et, plus étonnant, aux partis-émanchés, aux feuilles de nénuphar. Elle se distingue en revanche par la rareté des aigles, ce qui ne peut manquer d’attirer l’attention. L’étude des cimiers et des supports-tenants trouve aussi dans le corpus un matériel surabondant et bien daté.
Exprimons toute notre admiration à l’égard de ce travail qui vient s’ajouter aux monuments déjà publiés par M. Laurent : Les sceaux des princes territoriaux belges, du Xe siècle à 1482, Bruxelles, Archives générales du Royaume, 1993 (Archives générales du royaume et Archives de l’État dans les provinces, Studia 39-41), 2 t. en 3 vol. (I/I et I/II : texte; II : planches), 694 et 400 p., 1200 ill. ; Les sceaux des princes territoriaux belges, de 1482 à 1794, Bruxelles, Archives générales du royaume, 1997 (Archives générales du royaume et Archives de l’État dans les provinces, Studia 70), 95 p. et 134 pl. h. t. ; Inventaire des collections de matrices des Archives générales du Royaume et de la Bibliothèque royale, Bruxelles, Banque Nagelmakers, 1997, ill. ; Inventaire de la collection de moulages de sceaux des Archives générales du Royaume, [T.] I. Moulages n° 1 à 1000, et [T.] II. Moulages n° 1001 à 2000, Bruxelles, 2003-2005, 2 vol. (Archives générales du Royaume. Inventaires, n° 347 et 368), 290 et 268 p.

Jean-Luc CHASSEL
Extrait de la Lettre d’information de la Société française d’héraldique et de sigillographie, n° 14, juin 2011
publication en ligne : http//sfhs-rfhs.fr  © Société française d’héraldique et de sigillographie, 2011

 

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