Comptes rendus de lecture

Philippe LAMARQUE, L’héraldique napoléonienne, Saint-Jorioz, éditions du Gui, 1999, 2 vol., 33×23 cm, t. 1 : Armorial, 117 p. de pl. couleur + 32 p. ; t. 2 : [Texte], 581 p. ; reliure toile, coffret.

L’héraldique napoléonienne n’a jusqu’à présent que peu retenu l’intérêt des chercheurs. Généralement envisagée uniquement sous son aspect esthétique, elle a trop souvent pâti de jugements de valeurs qui l’ont réduite à l’état de repoussoir face à son aînée médiévale jugée plus fraîche et plus spontanée. Pourtant, l’héraldique napoléonienne est sans doute une des créations les plus curieuses d’un régime dont elle constitue à bien des égards la projection idéologique. Convaincu de l’intérêt historique et emblématique de cette entreprise, M. Lamarque s’est donc courageusement lancé dans la publication d’un ouvrage consacré au blason napoléonien, avec le concours des éditions du Gui dont cet ouvrage illustre à nouveau le savoir-faire.
En reproduisant les quelque trois mille écus en couleur réalisés au début du XXe siècle par Eugène Villeroy, l’auteur parvient à nous convaincre : c’est véritablement une étonnante mise en scène des élites que celle qui place côte à côte Turreau et Bougainville, Boissy d’Anglas et les Colbert… Et malgré la lancinante répétition des marques de dignités – un des traits originaux de ce système –, l’ensemble est loin d’être ennuyeux. L’héraldique napoléonienne est souvent lourdement allusive, nous a-t-on maintes fois répété. Pourtant, force est de constater, à l’examen de ces planches colorées et joliment reproduites, que la symbolique de beaucoup de ces écus nous demeure hermétiquement close : une fois exclus les insignes de dignité et les allusions militaires les plus limpides, un long corpus de figures se fait jour, dont la présence nous interroge d’autant plus que l’on sait que ces armoiries, fortement imprégnées par l’esprit soucieux d’étiquette de Cambacérès, laissent semble-t-il peu de place au hasard.
On pouvait donc espérer que l’auteur, mettant à profit les méthodes désormais bien rôdées de l’héraldique comparée, parvienne à dégager les mécanismes d’attribution de ces armoiries et précise les principes idéologiques qui en ont guidé la composition. Sur ce point, l’étude inédite de l’héraldique napoléonienne que nous promettait M. Lamarque est décevante : délaissant l’approche synthétique, elle se limite principalement à une série de notices consacrées à certains des meubles du blason napoléonien. Partielles et subjectives, ces notices laissent libres cours à l’imagination de l’auteur avec une absence de rigueur déconcertante. Le profit qu’en tirera l’historien n’est donc pas tel qu’on pouvait espérer : les textes, qui s’attardent parfois longuement sur tel meuble rarissime comme l’acacia ou la faux, ignorent complètement d’autres beaucoup plus fréquemment mis à contribution (cœur, main pour n’en citer que deux). L’auteur suggère avec justesse que la franc-maçonnerie a pu justifier un certain nombre de choix. Toutefois, son intérêt pour l’ésotérisme l’éloigne parfois du simple bon sens : que le chevron, par exemple, ait pu avoir dans certains cas une origine maçonnique est probable ; en revanche, que ne soit évoquée, ni dans la notice consacrée à cette pièce ni dans la vingtaine de lignes abordant les meubles militaires, l’éventualité que ledit chevron ait pu tout simplement évoquer les insignes liés aux grades militaires est pour le moins regrettable. D’une manière générale, l’auteur se laisse trop souvent emporter par la dimension onirique des armoiries, ce qui le conduit à des digressions qui, au mieux n’apportent pas grand chose à son sujet, au pire sont en contradiction avec les usages héraldiques. L’auteur, qui aime à pratiquer le sous-entendu, préfère trop l’allusion à la démonstration. On le regrettera d’autant plus que plusieurs de ses intuitions paraissent fort pertinentes.
L’auteur a toutefois le mérite de nous présenter un outil de travail à la fois utile et agréable. Passons sur le contenu extrêmement succinct des notices biographiques et sur l’aspect étrange du répertoire général des récipiendaires dont, curieusement, les vingt derniers noms s’affranchissent de l’ordre alphabétique général. Le bel ouvrage que M. Lamarque met à notre disposition devrait en effet rendre de nombreux services, tant grâce aux vérifications, corrections et compléments qu’il apporte, que par la présence de l’index armorum établi par Michel Popoff. Au-delà des réserves que nous avons formulées, M. Lamarque parvient à réhabiliter l’héraldique napoléonienne et à en montrer tout l’intérêt historique. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la curiosité que son ouvrage éveille suscite d’autres travaux ; le souhait de l’auteur aura alors été largement exaucé.

Nicolas VERNOT
Extrait de la Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 71-72, 2001-2002, p. 168-169
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2004

 

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