Comptes rendus de lecture

Emmanuel de BOOS, Dictionnaire du blason, Paris, Le Léopard d’Or, 2001, 16 x 24 cm, 500 p., ill. noir et blanc et pl. couleur.
Longtemps, les dictionnaires héraldiques ont fonctionné par sédimentation successive. Chaque auteur, animé d’un idéal universaliste, ajoutait au travail de ses prédécesseurs une figure ici, une règle là, osant peu retrancher de ce qu’avaient pu écrire leurs prédécesseurs. Avec au résultat des ouvrages hors du temps, tout empesés de règles et de figures qui, pour avoir été recopiées et déformées à l’infini, faisaient des dictionnaires héraldiques des cabinets de curiosités plus que des outils scientifiques.

Avec bonheur, Emmanuel de Boos vient rompre avec cette pratique en proposant une vision renouvelée du vocabulaire héraldique, fondée sur la connaissance intime des documents originaux plus que sur des normes édictées parfois très tardivement. Le souci de privilégier l’héraldique des sources au détriment de l’héraldique normative conduit l’auteur a procéder à un toilettage fort bienvenu, dont les principes sont exposés dans une introduction vivifiante.

Ont été d’abord écartés nombre d’objets, animaux ou plantes apparus souvent tardivement dans les armoiries, et dont l’usage et la représentation héraldique ne nécessitent pas de commentaire particulier. L’auteur rompt ainsi avec la pratique qui consiste à faire entrer dans un dictionnaire héraldique toutes les figures qui y ont pris place un jour ou l’autre. On le sait, tout élément du monde est susceptible de devenir un jours ou l’autre meuble du blason. Prétendre en dresser une liste exhaustive n’a que peu d’intérêt dans un dictionnaire dont le but est d’abord d’aider le chercheur.

L’innovation la plus intéressante de cet ouvrage est la scission du corpus en deux parties distinctes. La première, la plus vaste, comprend la définition des termes héraldiques en usage, tandis que les mots rares, inusités ou erronés sont relégués dans une seconde partie joliment appelée « grenier » par l’auteur. Le grenier est en quelque sorte un répertoire « passif », constitué de mots dont on peut rencontrer l’usage et sur lesquels on peut par conséquent être conduit à s’interroger, mais dont l’héraldiste évitera lui-même de se servir. Cette mise au grenier suppose des choix dont l’auteur assume toute la subjectivité. Certes, un moderniste aurait sans doute déplacé certains termes (isalgue, ombré…) d’un corpus à l’autre ; l’ensemble, toutefois, demeure cohérent et d’une pertinence remarquable. Surtout, l’auteur fait acte d’un militantisme bienvenu dans sa volonté d’écarter des termes qui, tout en étant erronés ou ambigus, ont parfois été utilisés par certains auteurs : le lecteur sera donc à même d’en comprendre le sens tout en en évitant l’usage. Ainsi est-il suggéré de délaisser, par exemple, le terme ancorné, au profit d’un plus explicite onglé. Cette initiative devrait contribuer activement à débarrasser les blasonnements à venir d’une foule de termes inutiles, ambigus ou d’une ridicule préciosité.

Dans chaque notice, l’équivalent du mot est donné en italien, en espagnol, en anglais puis en allemand. On regrettera que ces informations ne soient pas suivies d’indications grammaticales explicites : préciser la nature et le genre de certains termes aurait rendu un certain nombre de services (brochant est-il toujours un participe passé ?). Le commentaire de chaque terme est toujours guidé par le souci de rendre compte de l’héraldique telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être : fondée sur cette connaissance extrêmement approfondie de la pratique de l’héraldique médiévale dont l’auteur nous a rendu familier, chaque notice rend compte des variations possibles dans la représentation des figures, des erreurs ou des imprécisions les plus fréquemment rencontrées. L’auteur n’hésite pas à citer les règles énoncées par les théoriciens pour mieux les confronter à la pratique : leur pertinence est parfois confirmée, souvent nuancée. Nul doute que de telles remarques rendront bien des services chez le chercheur trop souvent dérouté par l’écart observé entre le discours et la pratique.

Les propos de l’auteur sont servis pas une illustration au trait tirée de documents originaux, dont la grande qualité est toutefois légèrement gâchée par une mise en page un peu confuse. Le recours à des sources de première main présente un double intérêt, permettant d’une part d’écarter les réinterprétations tardives de figures devenues parfois méconnaissables avec le temps (telle l’isalgue), et d’autre part de donner à voir au public l’héraldique non pas comme un ensemble de règles sclérosées, mais comme un art sujet à variations propres à susciter l’étonnement, certes, mais aussi l’admiration.

Par sa rigueur scientifique et la richesse de sa réflexion, le dictionnaire de M. de Boos constitue désormais une référence incontournable pour les héraldistes. Ses nombreuses qualités lui permettront sans doute de dépasser largement le cercle des spécialistes : en restituant les dimensions historiques et artistiques de l’héraldique, son ouvrage devrait rencontrer un large public.

Nicolas VERNOT
Extrait de la Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 71-72, 2001-2002, p. 171-172

 

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