Héraldique

L’héraldique est la science qui a pour objet l’étude des armoiries. Celles-ci peuvent se définir comme des emblèmes en couleur, propres à un individu, à une famille ou à une collectivité et soumis dans leur composition à des règles spéciales qui sont celles du blason. C’est l’existence de ces règles, au reste peu nombreuses et dont la principale concerne l’emploi des couleurs, qui différencie le système héraldique européen de tous les autres systèmes d’emblèmes.

Tapisserie de la reine Mathilde (vers 1066-1082). Bayeux, Musée de la tapisserie

Tapisserie de la reine Mathilde (vers 1066-1082).
Bayeux, Musée de la tapisserie

L’apparition des armoiries en Occident vers le milieu du XIIe siècle est liée à l’évolution de l’équipement militaire : les transformations du casque et du haubert rendant le chevalier méconnaissable à la bataille et au tournoi, celui-ci prend peu à peu l’habitude de faire peindre sur la grande surface de son bouclier des figures (animales, végétales, géométriques) servant à le faire reconnaître au cœur de la mêlée. On peut parler d’armoiries à partir du moment où un chevalier fait toujours usage, pendant une période longue de sa vie, des mêmes figures et des mêmes couleurs. D’abord individuelles et réservées aux seuls combattants, les armoiries deviennent progressivement héréditaires. Puis, au début du XIIIe siècle, leur emploi s’étend aux femmes, aux ecclésiastiques, aux habitants des villes, aux artisans et même, dans certaines régions (Flandre, Normandie), aux paysans ; enfin, un peu plus tard, aux villes, aux corps de métiers, aux communautés religieuses, aux administrations et institutions. Á cet égard, il convient donc de corriger une erreur fort répandue mais qui ne repose sur aucune réalité historique : la limitation à la noblesse du droit aux armoiries. A aucun moment, dans aucun pays, le port d’armoiries n’a été l’apanage d’une classe sociale. Jusqu’à l’époque contemporaine chacun a pu, toujours et partout, en adopter et en faire l’utilisation privée de son choix, à la seule condition de ne pas usurper celles d’autrui. L’usage public des armoiries a pu en revanche, en certaines périodes et dans certains pays, être réglementé et réservé à telle ou telle catégorie sociale. Cela n’a jamais été le cas en France, toutes les tentatives effectuées en ce sens aux XVIIe et XVIIIe siècles étant restées lettres mortes.

Plaque funéraire émaillée de Geoffroy V d’Anjou, dit Plantagenêt (Le Mans, Musée de Tessé ; vers 1172)

Plaque funéraire émaillée de Geoffroy V d’Anjou, dit Plantagenêt (Le Mans, Musée de Tessé ; vers 1172)

A la fois marques de possession et ornements décoratifs, les armoiries ont pris place, du XIIe au XXe siècle, sur d’innombrables objets, monuments et documents à qui elles ont ce faisant apporté une sorte d’état-civil. Leur étude est en effet bien souvent le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui pour situer ces objets et ces documents dans l’espace et dans le temps, pour en retrouver les commanditaires ou les possesseurs successifs, pour en retracer l’histoire et les vicissitudes. C’est souvent en matière de datation que l’apport de l’héraldique apparaît comme le plus précieux, car les dates du port d’un écu armorié par un personnage forment en général une fourchette de dates plus réduite que ses dates de vie et de mort. Dans le cas d’un objet ou d’un monument orné de plusieurs écus appartenant à plusieurs personnages, il est possible de parvenir à une grande précision, en établissant une date résultante à partir des dates de naissance, de mariage, de début de règne, d’entrée en titulature ou en fonction et de décès de chacun d’eux. Tous les archéologues, tous les historiens de l’art, tous les conservateurs et collectionneurs devraient ainsi avoir recours à l’étude des armoiries pour tenter de dater, localiser ou attribuer des monuments ou des œuvres d’art. Malheureusement, l’héraldique est souvent une science qui leur est peu familière, et la langue du blason les déroute. Non seulement ils ne savent pas comment identifier une armoirie anonyme rencontrée sur une clef de voûte, un vitrail ou un tableau, mais ils ne savent même pas en quels termes la décrire. Le présent manuel se propose donc de les y aider. Il se veut une introduction à la solution des problèmes les plus simples et de ceux qui se posent le plus fréquemment (notamment dans le domaine terminologique). Mais il se voudrait aussi ouvert sur des voies plus ambitieuses et indique donc quelques pistes méthodologiques ou bibliographiques pour approfondir les recherches et les réflexions.

L’aspect archéologique des études héraldiques en effet appartiennent à ce que l’on pourrait appeler l’héraldique traditionnelle. Celle-ci s’appuie avant tout sur l’identité des personnages qui en font usage. Mais les armoiries ne font pas seulement connaître l’identité de ceux qui les portent. Elles peuvent, également, surtout pour les périodes anciennes, en refléter la personnalité. C’est donc à cette dernière que tend à se consacrer aujourd’hui une héraldique nouvelle. Profitant de l’éclatement des barrières entre les différentes sciences humaines, celle-ci a depuis une vingtaine d’années renouvelé ses méthodes et largement étendu le champ de ses investigations. Cette héraldique nouvelle étudie par exemple les motifs qui ont présidé au choix des couleurs et des figures composant les armoiries d’une famille ou d’un individu. La relation entre l’élément signifiant et l’idée signifiée peut se situer à différents niveaux (parlant, allusif, allégorique, symbolique, etc.), mais son étude apporte toujours des informations utiles sur les croyances, la culture, les aspirations, les modes de sensibilités ou les procédés de symbolisation de ceux qui ont créé ou qui se sont composé des armoiries.

Moulage du sceau de Léon VI, roi d’Arménie (1384)Arch. nat., sc/B 20

Moulage du sceau de Léon VI, roi d’Arménie (1384)
Arch. nat., sc/B 20

De même, l’héraldique cherche aujourd’hui à savoir pourquoi et comment à telle époque, tel ou tel personnage imaginaire (héros de roman, figure mythologique, saint légendaire, allégorie personnifiée) a été doté de telles armoiries, et comment celles-ci ont été comprises, représentées, transformées, imitées. Puis, dépassant les cas individuels, elle se fonde sur des méthodes statistiques pour dresser des indices de fréquence des figures et des couleurs dans les armoiries d’une région, d’une époque, d’une classe sociale. En interprétant les résultats obtenus, elle met en valeur des phénomènes de mode, de vogue et de goût, et débouche ainsi sur l’étude de la sensibilité et de la psychologie collectives (ce que naguère on appelait « l’histoire des mentalités »). L’examen de la fréquence des couleurs comme le rouge (gueules), qui fut la couleur préférée des populations médiévales, a peu à peu été supplanté dans ce rôle par le bleu (azur) entre le XVe et le XVIIIe siècle – bleu qui demeure aujourd’hui la couleur préférée de la grande majorité des Européens. De la même façon, l’analyse de la fréquence des figures a permis de souligner plusieurs habitudes dépassant de beaucoup le seul cadre du blason. Citons pour exemples l’opposition politique entre l’aigle et le lion dans l’Europe des XIIe et XIIIe siècle, l’ancien rôle de roi des animaux tenu par l’ours dans toute l’Europe du Nord, le « snobisme » dans le choix de certaines figures aux XVIIe et XVIIIe siècles (lévrier, léopard, fleur de lis, licorne).

Enfin, dans une perspective à la fois sémiologique et anthropologique, l’héraldique nouvelle se propose d’étudier le blason en tant que système de signes. Codes sociaux, les armoiries situent en effet l’individu dans un groupe et ce groupe dans l’ensemble de la société. Le blason européen s’apparente ainsi à d’autres systèmes d’emblèmes, tels ceux des civilisations précolombiennes, du Japon médiéval, des tribus mamelouks, des différentes ethnies africaines ou océaniennes. L’étude comparée de ces systèmes devrait, dans un avenir proche, se révéler riche de multiples enseignements.

Michel PASTOUREAU
Directeur d’études à l’École pratique des hautes études
Président de la Société française d’héraldique et de sigillographie