Comptes rendus de lecture

The Armorial of Haiti. Symbols of nobility in the reign of Henry Christophe (College of Arms manuscript JP 177), edited with a commentary, essay and appendix by Clive CHEESMAN, Rouge Dragon Pursuivant, with a historical introduction by Marie-Luce VENDRYES, and a preface by Her Excellency Michaëlle JEAN, Governor General of Canada, London, College of Arms, 2007, 19,5×25,5 cm, VIII-216 p., 105 ill. couleur, reliure toile.

Longtemps ignorée, l’héraldique du XIXe siècle revient à la mode. L’édition du manuscrit de l’armorial du roi Henri-Christophe Ier d’Haïti par le College of Arms de Londres en apporte une nouvelle preuve. Une introduction historique par Marie-Luce Vendryes, ancienne directrice du musée du Panthéon national haïtien, inspirée par le portrait du monarque dû à Richard Evans, rappelle les étapes d’un règne bref mais indéniablement colourful (1811-1820). C. Cheesman, poursuivant Rouge Dragon, éditeur scientifique, propose ensuite une étude sur la cour et son héraldique. Il fait ressortir l’originalité d’une monarchie noire, appuyée politiquement sur l’Angleterre mais de culture française, partagée entre les modèles de l’Ancien Régime et de l’Empire napoléonien. Il analyse en détail son système nobiliaire pour aboutir à son héraldique conservée dans trois documents, l’édit du 15 avril 1811 et deux armoriaux, celui que possède la famille Béliard, descendant d’un dignitaire, et celui qui fait l’objet de la publication, entouré de mystères : qui est son auteur ? Un des membres du nombreux personnel héraldique de la cour ? Comment est-il parvenu dans les mains de J. Pulman, roi d’armes Clarenceux (1783-1859) ? Par l’intermédiaire de la reine veuve Marie-Louise réfugiée à Londres ? Rouge Dragon détaille la fortune critique d’un manuscrit négligé des historiens mais pas inconnu des héraldistes et plusieurs fois exposé.

L’édition du document est précédée de sa description physique. Les 91 planches gouachées, parfaitement conservées, classées selon l’ordre hiérarchique, sont reproduites sur la page de droite, dans un format voisin de l’original, chacune représentant les armoiries avec timbre, supports et devise, accompagnées de leur blasonnement. Un commentaire critique figure en regard, sur la page de gauche. Il s’ou-vre par une transcription du texte français, complétée par une description en anglais. La présence ou l’absence dans l’autre manuscrit est signalée. Suit une notice biographique sur chaque personnage, soin nécessaire, les armoiries étant généralement inspirées par la fonction de leur destinataire, mais sans la lourdeur systématique de certaine héraldique contemporaine, avec une invention charmante, toujours renouvelée. Il n’est pas inutile d’apprendre que le baron de Béliard occupait la charge de directeur et intendant des Jardins et des Eaux et Forêts des palais du roi pour s’expliquer : de sable au rateau et à l’arosoir d’argent posés en sautoir, pour support deux caméléons de sinople rampans (n° 67). On n’est pas mécontent de savoir que le baron de Cadet Antoine était chef de division de la Marine en voyant son écu aux couleurs significatives : d’argent, à la baleine d’azur; pour supports deux lamentins de vair, muni de la devise : «Neptune et la Fortune» (n° 51). Parfois aussi, certains événements historiques permettent d’éclairer les choix figuratifs.

Rouge Dragon commente ensuite l’héraldique dont il apprécie l’élé-gance : « The shields are commendably simple, unlike contemporary heraldry in Britain and France » (p. 14). Très peu d’armoiries parlantes, alors mal considérées et dont Louis XIV avait abusé dans son Armorial général. Elles se rachètent par leur délicatesse ; on remarque deux fleurs : sur le nom, un rosier au naturel pour le comte de Roziers(n° 37) ; sur le prénom, une hyacinthe pour le comte Hyacinthe Du Borgne (n° 22). Le poursuivant d’armes ne s’interdit pas les jugements esthétiques, ce dont nous lui sommes gré. Chez lui, la science n’est pas ennemie du goût. Son métier n’est-il pas aussi de composer des armes ? Il aime que la devise soit appropriée à son destinataire. « Austérité et impassibilité » lui plaît pour le comte de La Taste, ministre des Finances et de l’Intérieur (n° 39). Vertu britannique ! Il approuve les rhinocéros rampants de gueules pour supports des armes du comte de Sainte-Suzanne, maréchal de camp, mais les pattes de sable le laissent perplexe : « resulting in a somewhat sock-like look » (n° 20). Elégance britannique ! (Le College of Arms, ne l’oublions pas, se dresse au cœur de la City).

Puisque Rouge Dragon cite plusieurs fois notre article paru dans le tome 65 de 1995 de la présente revue (1), remercions-le, mais aussi corrigeons-le. Nous n’avons pas écrit que l’invention du recueil revient impérativement à l’un des hérauts d’armes royaux (p. 13). Nous nous sommes contentés de constater leur nombre. De même, pour l’œil entouré de lauriers du prince des Gonaïves (p. 32), nous n’avons pas affirmé la présence volontaire de la franc-maçonnerie mais seulement suggéré une influence possible de son imaginaire, depuis la fondation sur l’île de la loge Saint-Jean-de-Jérusalem, en 1749. L’armorial hésite entre les grâces néo-classiques, où l’on croit sentir encore les derniers raffinements de l’Ancien Régime, et les références plus corsées à la faune exotique, saveurs mélangées qui ne font pas le moindre de ses charmes. Quand les noms de famille sont des toponymes, Rouge Dragon les situe dans la géographie locale. Il lui arrive de reproduire sur la page de commentaires, pour comparaison, les planches de l’autre armorial manuscrit, moins bien conservé, dont 48 entrées sont communes et 40 différentes. L’ouvrage se termine par une annexe de textes officiels relatifs à la noblesse sous Henri-Christophe, une liste provisoire de cette même noblesse, une biblio-graphie et un index. Que demander de plus ? On aimerait que les publications d’armoriaux qui se multiplient fussent toutes aussi achevées. Remercions Albion, qui n’est sans doute pas toujours aussi perfide qu’on le dit, d’offrir au public, dans une présentation de grande qualité matérielle et scientifique, l’accès à un joyau de la francophonie.

Yvan LOSKOUTOFF
Revue française d’héraldique et de sigillographie, édition en ligne
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2013

1 « L’héraldique sous les tropiques : l’armorial du roi Henry-Christophe Ier d’Haïti », Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 65, 1995, p. 5-20, ill.

 

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