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Comptes rendus de lecture
Michaël BLOCHE, Caroline DORION-PEYRONNET et Vincent MAROTEAUX (dir.), Empreintes du passé. 6000 ans de sceaux, Rouen, Coédition Archives départementales de la Seine-Maritime, Musée départemental des Antiquités et les éditions Point de vues, 2015, 27 × 30 cm, 288 p. + 500 ill. coul. ISBN : 978-2-37195-007-8. Prix : 29 €.
Conçu en même temps que l’exposition éponyme « Empreintes du passé – 6 000 ans de sceaux » tenue du 11 septembre au 5 décembre 2015 au Musée départemental des Antiquités de Rouen, aux Archives départementales de Seine-Maritime et à l’Abbaye de Jumièges, cet ouvrage constitue le volet éditorial d’un véritable dyptique plutôt qu’un simple catalogue. Convoquant, sous la direction des commissaires scientifiques Michaël Bloche (directeur adjoint des Archives départementales) et Caroline Dorion-Peyronnet (directrice du Musée des Antiquités), une équipe de spécialistes, conservateurs, universitaires ou restaurateurs (Etienne Auzou, Marie Blaise-Groult, Caroline Bride, Camille Burette, Jean-Luc Chassel, Hendrik Hameeuw, Philippe Jacquet, Muriel Labonnelie, Christophe Maneuvrier, Julie Patrier, Christelle Potvin, Jean-Louis Roch, Caroline Simonet, Solène de la Forest d’Armaillé), cet ouvrage est organisé en quatre parties dont les trois premières reprennent les intitulés des différentes sections de l’exposition (« Aux origines du sceau », « 1 000 ans de sceaux en Seine-Maritime », « Jumièges, images de cire »), tandis que la dernière partie (« Étudier et protéger les sceaux, une tradition déjà ancienne ») revient sur les différentes campagnes d’inventaire et de recherche préparatoires à l’événement.
La première partie est consacrée aux sceaux et scellements antiques. Connu depuis la période sumérienne (4 000 ans avant notre ère), les différents auteurs démontrent tour à tour que l’usage du sceau a été commun à l’ensemble des civilisations, tant dans la variété des techniques mises en œuvre que dans les pratiques religieuses ou symboliques. À partir de l’importante collection de 620 pièces léguée au Musée départemental des Antiquités de Rouen par l’abbé Henri de Genouillac à sa mort en 1940, Julie Patrier étudie la pratique sigillaire au Proche-Orient, mettant en avant l’immense popularité que connut le sceau-cylindre dans cette région, à partir de 3 300 avant J.-C., à la faveur de l’essor des échanges commerciaux. Dans l’Égypte antique, C. Dorion-Peyronnet montre le développement précoce de l’usage du sceau-cylindre à inscription hiéroglyphique, outil de gestion et de contrôle (vases, ballots de tissus, coffrets, paniers) ; après la VIe dynastie, il est relayé par le sceau-estampille – dont les célèbres scarabées – puis par la bague sigillaire. Si tous les usages antérieurs perdurent dans le monde grec, hellénistique et romain (clôture des portes et des récipients, marques de propriété, correspondance sur tablette, etc.), J.-L. Chassel souligne que Rome a développé la technique du sceau dans de nombreux autres domaines comme le marquage des produits manufacturés (y compris les céramiques dites « sigillées ») dont subsistent de nombreux témoignages dans l’espace gallo-romain. Une autre utilisation originale, particulièrement bien documentée par les collections rouennaises et expliquée par l’un des précieux focus qui jalonnent ce livre, est celle des cachets à collyres, typiques de la médecine ophtalmique gauloise (M. Labonnelie, p. 66). Enfin, la pratique de l’anneau sigillaire, la plupart du temps serti d’une intaille dotée de vertus prophylactiques et propitiatoires, fut transmise à l’élite gauloise avant d’être reprise par les rois mérovingiens à partir de la fin du VIIe siècle pour la validation des actes de leur gouvernement, assurant ainsi la transition entre le monde antique et le Moyen Âge.
La deuxième partie de l’ouvrage, la plus dense, traite des différents aspects de la sigillographie du IXe au XXIe siècle à l’aune des exemples offerts par les matrices et empreintes normandes ou anglo-normandes. Un premier article fait le point sur les définitions (composition du sceau, matières des empreintes et des matrices), les aspects techniques (modes d’apposition, pratiques de chancellerie et émoluments, symbolique des couleurs de la cire et des attaches, etc.) et l’évolution des usages sigillaires jusqu’au développement du tabellionage et du notariat qui entraîna le déclin des sceaux personnels après le XIIIe siècle. Sont ensuite passées en revue les différentes catégories de sigillants (rois, princes, chevaliers, ecclésiastiques, villes et bourgeois, villageois, femmes, juridictions) en montrant les grandes évolutions chronologiques (Riculf, archevêque de Rouen, scelle vers 872 au moyen de son anneau sigillaire) et les particularités locales.
Dans cette section, les caractéristiques les plus originales sont abordées par plusieurs focus : étude du sceau de Guillaume le Conquérant, entre tradition (reprise de la pratique du sceau biface d’Édouard le Confesseur afin d’asseoir sa légitimité) et innovation avec l’adoption du type équestre de guerre (M. Blaise-Groult, p. 96) ; intérêt des chartes multi-scellées avec ces six actes de Guillaume de Flavacourt, archevêque de Rouen, et du chapitre cathédral, relatifs à l’excommunication des Franciscains et scellés, en septembre 1285, par 231 empreintes de sceaux du clergé du Vexin normand et du Vexin français (C. Simonet, p. 108-109) ; identification de l’étonnante matrice en plomb du sceau d’Aliénor de Salisbury par J.-L. Chassel, taillée à l’occasion de l’union de cette dame avec William Fitz-Patrick de Salisbury et dont l’usage fut prolongé pendant son quatrième mariage (C. Potvin, p. 130).
Enfin, au nombre des nombreux atouts de l’ouvrage, il faut remercier les commissaires de nous offrir deux belles synthèses inédites sur les usages sigillaires modernes et contemporains. Passée la période médiévale, la signature finit par s’imposer à la Renaissance comme principal moyen de validation. Le sceau public demeure néanmoins au sommet de l’État, dans les cours de justice – lire par exemple le dossier relatif aux sceaux de l’Échiquier et du Parlement de Normandie (S. de La Forest d’Armaillé, p. 152-153) – et au sein de l’Église tandis que de nouvelles techniques apparaissent avec les sceaux sous papier, les sceaux plaqués et les timbres secs. La fin du XVIIIe et le XIXe siècle voient l’essor de ces formes sigillaires et notamment le succès des cachets de cire. Produits en nombre par les divers comités de surveillance, comités révolutionnaires et sociétés populaires, synonymes à la fois de rupture politique, sociale et iconographique, ces petits sceaux plaqués utilisés pour clore les correspondances deviennent peu à peu une marque de prestige et un signe distinctif des élites aristocratiques et bourgeoises. Parallèlement, le sceau connaît toujours de multiples usages non diplomatiques (M. Bloch, p. 170-179), destinés à garantir et protéger l’intégrité de toutes sortes de contenus, dont bon nombre demeurent aujourd’hui : scellage des urnes électorales dès le XVIIe siècle, scellés judiciaires, plombs fiscaux, sceaux des plombs des draps (J.-L. Roch, p. 180-191), scellement des reliquaires, dont la pratique remonte au Moyen Âge, afin d’attester la provenance des reliques et garantir leur authenticité. Dans ce dernier cas, M. Bloche attire notre attention sur la qualité d’un corpus souvent négligé des sigillographes alors que les prélats usent la plupart du temps du même cachet pour sceller leurs actes et les reliquaires (p. 178-179).
La troisième partie transporte ensuite le lecteur à l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Jumièges, fondée en 654. Son chartrier, d’une exceptionnelle richesse (1 800 empreintes de sceaux inventoriées entre 2006 et 2015), est conservé depuis 1827 aux Archives départementales de Seine-Maritime (sous-série 9 H). L’abbé dispose d’un grand sceau au plus tard dans les années 1160 (Roger Ier, 1169-1176), puis d’un sceau aux causes transmis d’abbatiat en abbatiat. La communauté dans son ensemble se réunit, depuis 1205 au plus tard, autour de la figure de son saint patron. Ce premier sceau de l’abbaye connut une longévité remarquable de trois siècles. Au XVIIe siècle, le monastère use d’un sceau de cire sous papier, toujours à l’effigie de saint Pierre. Un sceau aux causes figurant une Vierge à l’Enfant pour l’exercice de la juridiction contentieuse de l’abbaye sert aussi de sceau de substitution en l’absence du grand. Un contre-sceau, enfin, vient compléter le revers de l’empreinte du grand sceau. Doté d’une gemme à l’effigie du dieu Mars, il met en évidence la pratique du remploi d’intailles antiques dans un très grand nombre de sceaux du Moyen Âge, laïques et ecclésiastiques (M. Bloche, p. 222-223). Ces derniers initient de belles collections puisées notamment dans les trésors d’évêchés et d’abbayes ou se font représenter en buste, à l’imitation des portraits à l’antique et des monnaies, tel Richard, évêque d’Évreux, en 1233.
La richesse sigillaire du chartrier de Jumièges, l’un des plus considérables en France avec celui de l’abbaye de Clairvaux (Arch. dép. Aube, sous-série 3 H), permet d’offrir une vaste galerie de sceaux de bienfaiteurs de l’institution, rois d’Angleterre, comtes de Blois, de Clermont et de Meulan et seigneurs normands (M. Blaise Groult, p. 224-249). Retenons ici l’extraordinaire empreinte du sceau équestre de Richard, maréchal de l’abbaye en 1212, remplaçant l’épée par un rameau d’olivier, insigne de sa fonction !
Les villageois ne sont pas en reste (C. Maneuvrier, p. 124-127 et p. 250-261), l’absence de servage en Normandie permettant à chacun de posséder un sceau à son nom. Cette spécificité anglo-normande, attestée dès les années 1160 en Angleterre, offre la possibilité à chaque tenancier (petits chevaliers, écuyers de village, paysans aisés, laboureurs) de valider un acte de vente, une opération de crédit, voire l’aveu à son seigneur au moyen d’une rondelle de plomb ou d’étain, parfois enregistrée en plusieurs endroits afin d’anticiper les éventuelles contestations. La coutume de Normandie ne connaissant aucune forme de communauté entre époux, les femmes doivent également posséder un sceau dès lors qu’elles souhaitent agir sur les biens issus de leur dot. Ces petits sceaux extrêmement émouvants, puisent à un répertoire iconographique infini où se mêlent outils, lis, croix, étoiles et végétaux.
L’ouvrage se termine par une partie consacrée au métier de l’archiviste et du conservateur de musée. Si, comme le souligne le titre de cette section, « étudier et protéger les sceaux » constitue « une tradition ancienne », il faut ici regretter l’absence d’une prise de conscience générale de l’urgence à analyser et protéger ces fragiles témoignages de notre patrimoine. L’expérience des Archives départementales de Seine-Maritime en ce domaine est ancienne, en raison sans doute du nombre considérable d’empreintes (10 000) qui fait de ce dépôt l’un des plus importants en France avec celui des Archives départementales du Nord. Ainsi, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les campagnes menées par trois directeurs, Alexandre Barabé, Charles de Beaurepaire et Jules Vernier, accompagné de Germain Demay, venu complété les collections des Archives de l’Empire entre 1866 et 1872, aboutirent à la réalisation de 3 000 moulages destinés à documenter les empreintes considérées comme les plus précieuses (M. Bloche, p. 264-270). Aujourd’hui, le récolement et le reconditionnement des chartes scellées, le nettoyage, la restauration et la numérisation des empreintes viennent parachever ce travail de bientôt deux siècles qu’accompagnent le développement de travaux universitaires (M. Bloche, p. 279-285) et les analyses tomographiques menées avec Ph. Jacquet pour comprendre le geste du scellement et le fonctionnement des chancelleries médiévales (p. 282-283).
À partir de 1834, le Musée départemental des Antiquités de Rouen menait un travail similaire de catalogage de sa collection constituée par Achille Deville, fondateur et premier directeur du Musée. Augmenté par achats et dons au cours du dernier siècle, cet ensemble d’une rare variété réunit 410 matrices et 1 296 empreintes et moulages de toutes périodes, sceaux-cylindres, intailles, bagues sigillaires, cachets, cachets à collyre, marques de potier, bulles papales, plombs de drapiers, moulages en plâtre ou en souffre mis en valeur à travers les illustrations du livre (C. Dorion-Peyronnet, p. 271-277).
Les commissaires de l’exposition rappellent enfin que leurs institutions entretiennent d’étroites relations depuis le XIXe siècle, matérialisées par de nombreux prêts et dépôts de part et d’autre de chartes scellées, de cachets de cire et de matrices (M. Bloche et C. Dorion-Peyronnet, p. 278). Quelques semaines avant l’ouverture des expositions, cette collaboration a finalement abouti au dépôt par le Musée départemental des Antiquités de l’ensemble de ses collections sigillographiques, récolées entre 2011 et 2015, aux Archives départementales.
Au final, les collections de sceaux de Seine-Maritime sont le prétexte à offrir un panorama global des connaissances des pratiques sigillaires et des problématiques actuelles de la recherche dans ce domaine. Le spécialiste pourrait regretter l’absence d’appareil critique – la bibliographie, notamment, se limite aux titres essentiels en fin de chapitres – et des commentaires parfois trop énumératifs. Mais ce livre – dont on admire l’illustration exceptionnellement riche ainsi que la mise en page claire et agréable – constitue en réalité un exercice de transition, remarquablement réussi, entre savoirs érudits et pédagogie, un magnifique ouvrage de valorisation sigillographique destiné à un public le plus large possible. Félicitons donc chaleureusement les directeurs et auteurs, ainsi que toutes les personnes ayant contribué à la mise en place de ces expositions, pour ce fabuleux voyage à travers 6 000 ans d’histoire de sceaux.
Arnaud BAUDIN
Revue française d’héraldique et de sigillographie, édition en ligne
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2015