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Comptes rendus de lecture
La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit. T. 1 : Alain GIRARD, La maison des chevaliers, avec la collaboration d’Alain VENTURINI pour une étude de la famille et la transcription des archives. T. 2 : Christian de MÉRINDOL, Les décors peints. Corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen Âge en France, Pont-Saint-Esprit, Conseil général du Gard, Musée d’Art sacré – Maison des Chevaliers, 2000-2001, 2 vol., 24×32 cm, 232 p. dont 24 p. de pl. couleur + 476 p., ill. noir et blanc et couleur, coffret.
La demeure patricienne de la famille de Piolenc à Pont-Saint-Esprit, connue sous le nom de « maison des chevaliers », a été acquise par le conseil général du Gard en 1988 pour abriter le musée d’Art sacré du département. Les travaux d’aménagement ont permis de mettre en valeur de vastes décors peints et armoriés des XIVe et XVe siècles. Dans un état de conservation remarquable, ces décors confèrent au monument un intérêt historique majeur qui justifie pleinement l’importante publication qu’ont entreprise MM. Girard et de Mérindol.
Le premier tome (second paru) est consacré au monument lui-même, un hôtel urbain conservant des parties romanes, progressivement agrandi et transformé depuis le XIVe siècle selon les besoins et les ambitions de ses possesseurs. La fonction du monument est complexe. Les Piolenc sont de riches marchands, impliqués au premier chef dans les activités d’un port fluvial, sur la rive droite du Rhône, au débouché du fameux pont qui a donné son nom à la ville. Leur hôtel est donc à la fois, comme de règle à l’époque médiévale, un logis et un magasin de commerce. Il affirme publiquement leur prospérité et leur notoriété : des salles d’apparat ont été ajoutées au XVe siècle. Il sert également de siège à la puissance judiciaire acquise par les Piolenc sur plusieurs seigneuries du pays, d’où l’édification dès le XIVe d’un grand auditoire de justice. Il est enfin l’instrument d’un engagement politique précis, contre le premier maître de la ville, le prieuré clunisien de Pont-Saint-Esprit, et pour le roi de France devenu co-seigneur des lieux depuis Philippe le Bel : la maison des Piolenc sera mise, dès le départ, à la disposition de la justice royale !
Dans des pages passionnantes, M. Girard, conservateur des musées du Gard, expose très précisément ce contexte sans lequel on ne peut comprendre la réalisation des décors peints. L’annexe de M. Venturini, directeur des Archives départementales du Gard – « La famille de Piolenc : quelques jalons pour une étude à venir » (p. 135-179), accompagnée d’un portefeuille de pièces justificatives –, éclaire l’histoire de ces marchands, passablement embrouillée par des forgeries et des manipulations généalogiques modernes destinées à maintenir la noblesse de leur rang. Une judicieuse illustration accompagne l’étude du monument depuis son origine ; des planches en couleur permettent de juger de la richesse des deux programmes décoratifs : celui de l’auditoire de justice, entre 1337-1343, et celui des salles d’apparat du logis , entre 1448-1451, dont les plafonds sont envahis par une profusion de figures humaines, d’animaux, de végétaux, de compositions géométriques… et plusieurs centaines d’écus armoriés.
M. de Mérindol, dans le second tome (paru en 2000) analyse la composition de ces deux ensembles, ne négligeant aucun détail des motifs et des armoiries choisis : l’hébergement de la justice royale locale et l’engagement politique des Piolenc expliquent l’ambition du programme, exaltant la place de la ville dans le royaume, mais illustrant aussi les rapports avec les maisons d’outre-Rhône. La statistique des couleurs et des figures montre d’ailleurs la parenté avec le monde héraldique du « couloir » Lotharingien. Les salles d’apparat, plus récentes, expriment à la fois les valeurs courtoises, l’allégeance au roi Charles VII, l’attachement aux familles importantes pour l’histoire de la ville, les alliances des Piolenc.
Le livre pourrait s’arrêter là et, vu l’intérêt peu commun de cette maison, ce serait déjà un fort bon livre… Cependant, dans une démarche qui va de l’exemplaire au général, M. de Mérindol y ajoute un imposant Corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen Âge en France, synthèse des travaux qu’il mène sur ce domaine depuis de nombreuses années. Ce corpus est limité aux bâtiments civils (palais et châteaux, manoirs et maisons, bâtiments administratifs, etc.) : les décors d’édifices religieux n’apparaissant que pour la compréhension des programmes de lieux civils qui leur sont liés. Il ne retient pas seulement les décors conservés, en tirant profit de nombreuses découvertes récentes, mais aussi ceux disparus que les sources mentionnent. Les 367 décors recensés dans toute la France font l’objet de notices plus ou moins développées selon l’importance du programme : les unes sont de véritables articles de fond, alimentés par des analyses nouvelles et minutieuses, d’autres reprennent les connaissances déjà acquises. Un grand nombre de tableaux permet de mieux saisir la description des programmes et la distribution des motifs. La liste des sites non étudiés pour insuffisance de documentation termine l’ensemble (n° 368).
Le corpus est précédé par une étude de synthèse sur les programmes peints, leur géographie, leur chronologie, leur composition, notamment la syntaxe des représentations choisies, leur fonction et leur signification. Les conclusions présentées offrent des vues puissantes non seulement pour l’histoire de l’art et de l’emblématique, mais aussi pour toute l’histoire médiévale.
L’ouvrage comporte une très importante bibliographie, un index héraldique (qui pourra fournir des pistes très utiles, localement, aux chercheurs confrontés à des armoiries peintes inconnues), d’une liste alphabétique des notices du corpus, d’un index des noms de personnes et de lieux. On regrette seulement l’absence, dans ce tome, d’une table des matières ou d’un sommaire, et la mise en page très compacte qui ne facilitent guère le maniement d’une telle somme.
Le travail est immense et renouvelle l’approche du sujet. C’est un outil essentiel pour la connaissance des monuments français que M. de Mérindol continue de servir avec tant de passion et de science.
Jean-Luc CHASSEL
Extrait de la Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 71-72, 2001-2002, p. 167-168
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2004