Comptes rendus de lecture

Yvan LOSKOUTOFF, L’armorial de Calliope. L’œuvre du Père Le Moyne S.J. (1602-1671) : littérature, héraldique, spiritualité, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2000, 14,5×20,5 cm, 360 p. (Biblio 17, suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature, 125).

Le dernier livre d’Yvan Loskoutoff défriche un champ entièrement vierge dans l’histoire des armoiries. On déplorait récemment encore, face au dynamisme de la recherche sur l’époque médiévale, que deux domaines, l’héraldique des Temps modernes et les rapports entre blason et littérature, fussent laissés en friche. Non content d’exploiter ces deux fonds en travaillant sur la littérature du XVIIe siècle, l’auteur a choisi d’y ajouter un troisième, plutôt inattendu, l’étude de la spiritualité. Le choix d’un écrivain jésuite prolixe et renommé en son siècle, Pierre Le Moyne, même s’il n’est plus guère connu aujourd’hui que des érudits, a dicté cette audace que rendaient prévisible les travaux antérieurs de l’auteur. En effet, professeur à la faculté des lettres du Havre, celui-ci est l’auteur d’une thèse intitulée La sainte et la fée : dévotion à l’Enfant Jésus et mode des contes merveilleux à la fin du règne de Louis XIV (Genève, Droz, 1987) et a publié d’importantes études – dont certaines ont enrichi notre revue – sur la place de l’héraldique dans la littérature.
Les leçons de l’ouvrage sont importantes. Lis, dauphins, roses, étoiles, lions, léopards, aigles, abeilles, croissants, serpents abondent dans l’œuvre du P. Le Moyne : ces références au blason sont évidemment constantes dans son essai sur L’art des devises (1666) ; évidentes ou cryptées, on les trouve dans un grand nombre de pièces dédiées à la famille royale et aux grands de son époque comme Richelieu, le cardinal Barberini ou le chancelier Séguier ; surtout, elles alimentent de manière systématique sa grandiose épopée en vers consacrée à Saint Louis (1653 et 1658), d’où l’expression d’«armorial de Calliope» par laquelle le titre du livre les désigne. D’où, également, le terme d’« héraldisme » que l’auteur choisit d’appliquer, en donnant un sens propre à l’ancien barbarisme, à cette figure stylistique particulière, non répertoriée des traités de rhétorique et qu’il est le premier à mettre en lumière, consistant à nourrir la métaphore littéraire d’emprunts aux armoiries. Non seulement chez Le Moyne, mais aussi chez bien d’autres auteurs contemporains, cette figure est au moins aussi fréquente que le mythologisme, bien connu à l’époque. Elle a notamment fleuri dans bon nombre de pièces écrites dans le cercle des précieuses, pour le salon de Madame de Scudéry, que fréquenta d’ailleurs le P. Le Moyne. La figure n’est pas un simple ornement du discours, mais, érigée en système, elle fonde véritablement l’imagination des auteurs.
Sous la plume d’un jésuite, un lien peut être établi entre l’héraldisme et l’esthétique tridentine qui avait affirmé la légitimité du statut des images et du luxe dans le culte. Cependant, Yvan Loskoutoff met en évidence les ambiguïtés fondamentales de l’héraldisme jésuitique, assorti de fonctions éthiques et spirituelles. Si le Père Le Moyne, lui-même issu d’une famille d’épée, appartient au courant d’auteurs qui développe l’association entre armoiries et noblesse, son œuvre est chargée de préoccupations pédagogiques (thème qu’a abordé parallèlement Philippe Palasi) et morales : la glorification de la noblesse et de ses signes est assujettie à l’exaltation des vertus chrétiennes. De là, l’héraldisme finit par désavouer l’héraldique, par dénoncer le leurre des glorioles sans mérites, et débouche sur une ample méditation sur les vanités de ce monde.
Touchant à l’ensemble des aspects de l’histoire de la civilisation et de la culture du XVIIe siècle, ce livre renouvelle de nombreux dossiers dont nous ne pouvons rendre compte ici, comme l’affirmation par les jésuites de France de leur attachement aux valeurs du royaume (le choix de saint Louis pour héros de l’épopée du P. Le Moyne en est une preuve), le développement du culte de saint Louis sous Louis XIII, les avatars du thème du « don des lis » à la royauté française, le décor architectural de l’église de la maison professe des jésuites à Paris (Saint-Louis). Ses démonstrations sont à la fois subtiles et fermes, énoncées dans une langue recherchée mais limpide, et toujours étayées par une grande érudition. Souhaitons qu’il soit suivi de beaucoup d’autres.

Jean-Luc CHASSEL
Extrait de la Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 69-70, 1999-2000, p. 170-171
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2002

 

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