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Comptes rendus de lecture
Susan Solway (dir.), Medieval Coins and Seals. Constructing Identity, Signifying Power, Brepols, 2015, 29 x 23 cm, 547 p. dont une bibliographie d’une quarantaine de pages, un index de près de trente pages, cent-treize planches en noir et blanc insérées en fins de chapitres et un cahier couleur de seize planches en fin d’ouvrage. ISBN : 978-2-503-54344-4. Prix : 175 euros.
Cet ouvrage collectif en anglais est dirigé par Susan Solway, historienne de l’art spécialiste de la numismatique, et regroupe vingt-et-un autres auteurs. Les contributeurs sont très majoritairement de langue anglaise, pour plus de la moitié des universitaires américains et pour un tiers des Britanniques. On compte aussi deux universitaires allemands et une universitaire italienne. Sigillographie et numismatique sont traitées à part égale : onze chapitres sont consacrés essentiellement aux sceaux et neuf aux monnaies, deux contributions abordant indistinctement les deux disciplines. L’influence de l’école américaine se traduit dans l’ouvrage par une approche tournée vers la visual culture et les gender studies, ainsi que par la place accordée dans la bibliographie aux travaux de Brigitte Bedos-Rezak, chef de file de la sigillographie aux Etats-Unis. La genèse de cet ouvrage provient d’une série de conférences organisées par Susan Solway lors de l’International Congress on Medieval Studies de l’Université du Michigan à Kalamazoo, et prononcées entre 2004 et 2012.
Dès l’introduction, Susan Solway précise l’orientation de l’ouvrage vers des problématiques d’histoire de l’art, regrettant au passage le manque de travaux en sigillographie sur cette question, l’étude des sceaux demeurant d’après elle trop centrée sur l’aspect diplomatique. On s’étonne d’une telle remarque au vu de la production écrite et des rencontres consacrées à la dimension artistique des sceaux en France (on pensera au colloque de Lille en 2008 ou aux travaux de Marc Gil parmi d’autres), en Allemagne (avec les publications de Markus Späth, qui contribue d’ailleurs à Coins and Seals) ou encore en Grande-Bretagne (avec la publication puis la mise en ligne sur le site du British Museum des actes du colloque consacré aux images sigillaires en 2007, suite à l’exposition Good impressions, et dont plusieurs auteurs ont rédigé des chapitres de l’ouvrage présenté ici).
Le recueil s’articule en cinq thèmes regroupant chacun cinq chapitres, hormis le premier qui en compte deux : la question de l’histoire de l’art en sigillographie et en numismatique ; la dimension politique ; le rôle des femmes ; villes et paysans ; enfin des études comparées avec d’autres productions artistiques. Deux articles sont de simples reprises de travaux anciens de David J. Wasserstein, dont le chapitre est consacré aux monnaies en terre d’islam, et de Brigitte Bedos-Rezak, « Medieval Identity : A Sign and a Concept », publié dans l’American Historical Review, 105 n°5, 2000, p.1489-1533. Le sous-titre de l’ouvrage (Constructing Identity) et les nombreuses références à l’article de Brigitte Bedos-Rezak par plusieurs contributeurs justifient cette reprise d’une publication déjà ancienne de quinze ans, même si les sigillographes pouvaient espérer un article neuf intégrant les plus récentes réflexions de l’auteur.
L’ouvrage s’avère d’une grande richesse. Si nos centres d’intérêts nous portent plus naturellement vers les articles consacrés aux sceaux qu’à ceux dédiés aux monnaies, nous recommandons sa lecture dans son ensemble. Nombre de remarques et d’analyses des numismates sont en effet communes à celles des sigillographes, comme par exemple la question de la reproductibilité de l’œuvre (Susan Leibacher Ward), sa dimension biface qui permet de jouer avec le message politique (Anna Gannon) ou son devenir après la mort du titulaire (Susan Johns, Susan Solway). Certaines conclusions des numismates éclairent des interrogations ou confirment des intuitions des sigillographes, comme le degré de compréhension des images anciennes au Moyen Âge. Beaucoup de contributions mêlent de fait étude des sceaux et des monnaies. Ainsi on ne peut que se réjouir de lire l’analyse que livre Susan Solway sur l’influence de la numismatique romaine antique dans l’iconographie sigillaire médiévale, peu abordée en sigillographie si ce n’est pour analyser les sceaux impériaux et royaux. Lucia Travaini, Lisa Mahoney et Anna Gannon évoquent, entre autres influences, la figure prégnante de sainte Hélène dans la numismatique italienne, au prix d’une iconatrophie très signifiante, ainsi que dans la sigillographie de l’Orient Latin.
Plusieurs auteurs (Markus Späth, Janet Synder, Jesse Hurlbut, James Robinson) replacent la production sigillaire dans un contexte artistique plus large : art monumental, enluminures, retables, enseignes de pèlerinage. Elizabeth New restitue la société londonienne afin d’éclairer avec brio l’iconographie très particulière des sceaux de la ville. Kay Slocum s’appuie avec rigueur sur les écrits de Bede et de Goscelin de Saint-Bertin pour identifier les personnages ornant les sceaux d’abbayes anglaises. Toutefois l’auteur met en avant les graveurs de matrices dans le choix d’une iconographie sigillaire, passant un peu vite sur le rôle déterminant des sigillants en la matière, notamment pour des programmes iconographiques complexes qui s’appuient sur la production littéraire. Phillipp Schofield offre une approche très diplomatique de la question des sceaux de paysans, s’éloignant quelques peu du fil conducteur artistique de l’ouvrage : il éclaire magnifiquement le contexte général de la pratique de l’écrit, en particulier scellé, par les paysans en Angleterre et dans les marches du Pays de Galles. De même, John McEwan nous plonge dans la production écrite en analysant l’adoption de nouveaux usages de scellement au XIIe siècle, source de tâtonnements pour les chancelleries. Ce sujet aurait peut-être mérité au passage que soit évoquée la question des faux.
Une seule étude dans cet ensemble nous paraît fragile, celle qu’Erin Jordan consacre aux sceaux de Jeanne et Marguerite de Flandre. Dépourvues du pouvoir militaire symbolisé par l’épée, ces dames auraient tiré profit de l’essor d’une administration s’appuyant sur le sceau pour s’affirmer dans la société du XIIIe siècle. Cet argument paraît bancal : les prélats, privés du maniement de l’épée, usèrent de sceaux de validation bien avant les barons et les chevaliers. D’autre part, loin de bénéficier de la pacification de la société médiévale sous Philippe Auguste, l’autonomie juridique des épouses se dégrade après le XIIe siècle, notamment en France. Enfin les évolutions stylistiques des images sigillaires ne sont pas toujours maîtrisées par l’auteur. Le dossier des sceaux de Jeanne et Marguerite de Flandre ne manque pourtant pas d’intérêt.
Dans l’ensemble, l’ambition affichée dès l’introduction de l’ouvrage de poser un jalon dans les études de culture visuelle s’avère réussie : numismatique et sigillographie s’enrichissent mutuellement tant par leurs démarches de recherche que dans leurs conclusions. La plupart des auteurs apportent de solides informations sur l’état actuel de la recherche en histoire de l’art aussi bien en numismatique qu’en sigillographie, du moins dans le monde anglo-saxon. On relève en effet des fragilités concernant la production francophone : aucune référence à l’ouvrage de Demay sur le costume dans le chapitre de Janet Snyder, pourtant consacré au vêtement. Cependant la France en tant que sujet d’étude est plutôt bien représentée en sigillographie, contrairement à d’autres terrains d’étude – Espagne, Scandinavie ou encore Saint Empire – qui font figures de parents pauvres. En revanche le monde byzantin, les royaumes latins d’Orient ainsi que les terres d’islam font l’objet de plusieurs analyses (John Cunnally, Wayne Sayles, Lisa Mahoney) démontrant, s’il en était besoin, la richesse de ces espaces pour les numismates et les sigillographes. L’analyse des influences artistiques, du choix d’emblèmes signifiants, de la portée politique du maintien de certains modèles contribuent à ouvrir de nouvelles perspectives de recherche aux deux disciplines.
Caroline SIMONET
Revue française d’héraldique et de sigillographie, édition en ligne
© Société française d’héraldique et de sigillographie, 2016
Introduction (Susan Solway)
1 – Crossroads in Medieval Studies: Sigillography, Numismatics, and Art History
– Medieval Identity: A Sign and a Concept (Brigitte Miriam Bedos-Rezak)
– Coins, Images, Identity, and Interpretations: Two Research Cases—a Seventh-Century Merovingian Tremissis and a Fifteenth-Century Ducat of Milan (Lucia Travaini)
2 – Striking Identity and Minting Politics in Medieval Europe and the Middle East
– Strategies of Representation: Minting the Vandal Regnum (Guido Berndt)
– Coins as Agents of Cultural Definition in Islam (David J. Wasserstein)
– A Byzantine Pedigree: The Design of Coins and Seals in the Latin East (Lisa Mahoney)
– Classical Revival in Twelfth-Century Jazira: Religion–Humanism on Contemporary Coins (Wayne Sayles)
– Reflections of Coinage: The Imago Clipeus on the West Façade of Le Mans (Susan Leibacher Ward)
3 – Medieval Women: Coining Identity and Sealing Power
– Displaying Identity and Power? The Coins of Byzantine Empresses between 804 and 1204 (Liz James)
– Money, Power, and Women: An Inquiry into Early Anglo-Saxon Coinage (Anna Gannon)
– Swords, Seals, and Coins: Female Rulers and the Instruments of Authority in Thirteenth-Century Flanders and Hainaut (Erin L. Jordan)
– Bede’s Ladies: Images of Anglo-Saxon Holy Women on Thirteenth-Century Seals (Kay Slocum)
– Seals, Gender, Identity, and Social Status in the Late Twelfth and Early Thirteenth Centuries in Wales (Sue Johns)
4 – Sealing Civic, Urban, Rural and Corporate Identity in Western Medieval Europe
– Seals of Cities and Towns: Concepts of Choice? (John Cherry)
– The Common Seal and Communal Identity in Medieval London (Elizabeth New)
– The Formation of a Sealing Society: London in the Twelfth Century (John McEwan)
– Art for New Corporations: Seal Imagery of French Urban Communities in the Thirteenth Century (Markus Späth)
– Seals and the Peasant Economy in England and Marcher Wales, ca. 1300 (Phillipp Schofield)
5 – Miniature yet Mighty: Coins, Seals, Medieval Art and Material Culture
– Medieval Seals: Image and Truth (James Robinson)
– The Mystic Lamb of Ghent: Alderman’s Seal, Altarpiece, and Tableau Vivant (Jesse D. Hurlbut)
– Vestiary Identity in Twelfth-Century Seals (Janet E. Snyder)
– Ancient Coins and their Afterlife: Numismatic Passages into Medieval Art and Material Culture (Susan Solway)
– Muslim Coins of the Crusader Period in a Renaissance Collection: Premature Medievalism or Mistaken Identity (John Cunnally)