Comptes rendus de lecture

Pierre BONY, Un siècle de sceaux figurés (1135-1235). Le sceau de la personne en France d’oïl, Angleterre, Écosse et pays de Lorraine. Essai de classement chronologique des sceaux figurés des rois, seigneurs, dames, dignitaires et communautés ecclésiastiques, Paris, Le Léopard d’Or, 2002, 16 x 24 cm, 186 p. + 88 p. de pl. noir et blanc.

M. Pierre Bony est sans aucun doute le meilleur connaisseur des collections de sceaux françaises ; il connaît également fort bien les collections étrangères (notamment de Grande-Bretagne). L’essai qu’il publie, patronné par l’École pratique des hautes études (IVe section) et impatiemment attendu, est le fruit de longues années d’observations, d’une sensibilité à l’iconographie et d’une culture historique remarquables. Il constitue un progrès incontestable pour nos disciplines.

L’ouvrage est d’abord héritier de la tradition des grands sigillographes que furent Germain Demay ou Yves Metman, dont les travaux ont mis à profit les multiples comparaisons que les collections de moulages constituées depuis Douët d’Arcq rendaient possibles. Cette école a montré la richesse des sceaux comme source de l’histoire dans d’innombrables domaines, du costume aux techniques, des structures sociales à la culture. Elle a également montré que les sceaux étaient de véritables objets d’art qui, en dépit de leurs dimensions modestes, devaient être étudiés de pair avec la sculpture, l’orfèvrerie, les arts graphiques et décoratifs notamment. Il est devenu habituel de déplorer que la démonstration n’ait pas toujours été entendue…

Mais l’essai de M. Bony est aussi très novateur par sa méthode. Les sigillographes ont toujours vanté la précision chronologique de leur documentation. Quand tant d’autres œuvres d’art ne sont datables que d’après le style, c’est-à-dire d’une manière relative… et parfois bien subjective, la charte à laquelle le sceau est fixé donne à celui-ci une date précise. Ce constat connaît toutefois une limite : la date de l’information sigillaire est tributaire de celle des empreintes. Or ces dernières peuvent être apposées plus ou moins longtemps après la fabrication de la matrice. Pour le sceau d’une personne physique, l’écart peut aller jusqu’à quelques décennies, Mais les exemples sont innombrables de collectivités ou d’administrations gardant la même matrice pendant plusieurs siècles ! Cherchant à opérer un classement chronologique rigoureux en vue de conclusions iconographiques cohérentes, M. Bony s’est donc efforcé de restituer la date de création des matrices. Il faut dire clairement que le résultat auquel il est parvenu est extrêmement convaincant et que le livre fait faire un progrès remarquable dans l’apport de la sigillographie à l’histoire médiévale.

Le succès de la démarche n’était possible que grâce à une érudition hors pair dans le domaine des généalogies et des biographies. Les « générations » de sceaux reconstituées par M. Bony se fondent sur les dates de mariages, de morts et de successions, de sacres, de consécrations ou d’entrées en fonction, qui permettent de déduire de manière vraisemblable celles des matrices des dames, des seigneurs, des rois, des évêques et de toute sorte de dignitaires ; elles exploitent les moindres indices des image et des légendes qui expriment la qualité d’un personnage ; elles profitent, exceptionnellement, d’attestations formelles de changement de matrice dans les sources écrites (comme en 1219, pour le grand sceau de l’abbaye Saint-Remi de Reims).

Toute cette érudition et cette acuité du regard ne pouvaient être mises en œuvre que dans des limites raisonnables. Celles choisies par l’auteur sont parfaitement justifiées. Ne sont retenus que les sceaux figurés, autrement dit effigiés, les plus propices à l’examen des détails stylistiques : sceaux de majesté, types équestres, figures assises ou en pied des femmes, des clercs et des religieux, ainsi que quelques sceaux hagiographiques reprenant les mêmes poncifs. Les sceaux individuels sont donc au centre de l’essai et ceux des communautés, pour les difficultés de datation mentionnées ci-dessus, ne sont prises en compte qu’à titre exceptionnel, lorsque leur examen éclaire l’évolution d’un des types étudiés. D’autre part, un cadre chronologique raisonnable a été fixé : de 1135 à 1235 – du mariage de Louis VII avec Aliénor d’Aquitaine à celui de Louis IX avec Marguerite de Provence –, c’est-à-dire le siècle où s’accomplit la grande généralisation de l’usage du sceau, celui aussi de la fin du style roman et de la floraison gothique.

L’illustration, riche de près de 600 clichés, judicieusement sélectionnés, permet de suivre pas à pas le propos de l’auteur et de juger de la finesse de ses rapprochements : les « générations » ainsi restituées apparaissent en pleine lumière. Certaines conclusions sont de véritables découvertes, d’autres ouvrent la voie à des discussions. L’auteur, qui est aussi modeste que savant, ne prétend pas avoir tout vu. Nous devinons qu’il se réjouit d’avance des perspectives qu’il a ouvertes et que d’autres mettront à profit. Remercions-le de ce livre, vade-mecum de la sigillographie et référence pour les tous les médiévistes.

Jean-Luc CHASSEL
Extrait de la Revue française d’héraldique et de sigillographie, t. 71-72, 2001-2002, p. 171-172

 

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